Date
24/02/2004
Sujet
Au sujet de l'évaluation ...
Auteur
André DIZIEN.
Message
http://www.jim.fr/abstract/data/bdc/base/77/37/F9/1D/index.htm


Le double aveugle contre placebo : rite ou réalité ?

Date de création : 23 février 2004

L’étude randomisée en double aveugle contre placebo est-elle une nécessité scientifique ou est elle devenue un simple rite ? Telle est en résumé la question impertinente (mais d’importance) que s’est posée une équipe d’épidémiologistes canadiens.

Si l’on revient aux sources méthodologiques qui gouvernent ce type d’essai, le double aveugle a pour fonction essentielle d’éliminer en théorie tout biais lié à l’interprétation subjective des effets d’un traitement par les malades, mais aussi de la part des médecins administrant les produits et des experts analysant les données. Or pour qu’une étude soit considérée comme étant réellement conduite en double aveugle, il ne suffit pas que ceci soit affirmé dans la méthodologie, mais il convient, selon les règles de bonne pratique édictées par le groupe Consort (Consolidated Standards for Reporting of Trials), que le succès du double aveugle ait été expressément vérifié et rapporté dans la publication.

Lequel d’entre nous n’a pas à cet égard été étonné de l’ignorance supposée des patients et des expérimentateurs sur le traitement effectivement reçu au cours d’essai comparant par exemple un bêta-bloquant et un placebo ou un anti-inflammatoire non stéroïdien à une substance inerte alors que les effets bradycardisant ou gastro-toxiques de ces deux types de molécules sont connus de tous.

4 études sur 200 évaluent la qualité du double aveugle !

Pour savoir si la recommandation du groupe Consort était appliquée, Dean Fergusson et coll. ont analysé 200 études en double aveugle contre placebo récentes (de 1998 à 2001) publiées dans les 5 revues de médecine les plus prestigieuses du monde (JAMA, New England Journal of Medicine, BMJ, Lancet et Annals of Internal Medicine) et les 4 premiers journaux de psychiatrie.
Sur ces 200 essais 191 ont pu être évalués.

Parmi les 97 articles publiés dans les grandes revues de médecine seuls 7 évoquaient le problème de la réalité du double aveugle et dans 5 de ces cas, il était indiqué que le double insu était imparfait.
Parmi les 94 études psychiatriques, pour lesquelles la question du double aveugle est spécialement importante, le succès ou l’échec du double insu n’ont été rapportés que dans 8 cas avec dans 4 publications une indication de mauvaise qualité du double aveugle.

Il est à relever de plus que dans les rares publications où la qualité du double insu a été évaluée, le plus souvent seule sa réalité auprès des malades a été étudiée, l’opinion des médecins traitants ou des évaluateurs sur le traitement effectivement reçu par les patients n’étant que très exceptionnellement analysée. Enfin, même dans les articles les plus rigoureux où le problème de la qualité du double aveugle est abordée, seuls des éléments qualitatifs sont évoqués (aspect identique des placebo et des produits actifs, opinion générale des malades et des expérimentateurs sur le traitement reçu…) et aucune analyse quantitative n’est proposée aux lecteurs.
Globalement sur ces 191 publications passées au crible par les meilleurs comités de lecture de la planète, 4 seulement ont évalué (de façon imparfaite) la qualité du double insu au niveau des malades et des médecins (traitants ou expérimentateurs).

Pour conclure, Ferguson et coll. lancent un appel vibrant aux auteurs scientifiques et aux comité de lecture des grandes revues médicales pour qu’ils s’astreignent à évaluer la qualité du double insu dans toutes les publications d’essai de ce type.
A un niveau plus modeste, mais tout aussi important, celui des médecins lecteurs, il convient sans doute également de revoir nos habitudes d’analyse critique des publications internationales. Et de toujours nous interroger sur le point de savoir si, en particulier pour des traitements ayant des conséquences physiologiques ou des effets secondaires universellement connus, le double insu était bien possible et effectif, et si dans chaque cas d’espèce le double aveugle contre placebo était bien la meilleure méthode d’évaluation.

Dr Anastasia Roublev


Fergusson D et coll.: “Turning a blind eye: the success of blinding reported in a random sample of randomised, placebo controlled trials.” Br Med J., 2004; 2004 ; 328 : 432-434.
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