Annabelle Pelletier-Lambert, Claude Pernice, Johan Nguyen, Olivier Goret

 

La parturiente, entre spasme et lâcher-prise

 

L’accouchement et les sages-femmes de la tradition à nos jours

 

En Orient comme en Occident, les écrits décrivant la sage-femme bien que peu élogieux vis-à-vis de cette profession demeurent fondamentaux pour comprendre l’évolution de la prise en charge de l’accouchement.

D’après Tao Zongyi, 1316-1402, livre achevé en 1936, notes rédigées pendant les repos au cours des labours. Taipei ; Shijie, 1978 : « Une première recommandation : se méfier autant que faire se peut des sages-femmes. Elles ont toujours été suspectes aux yeux des confucéens qui les considéraient comme faisant partie des « trois catégories de nonnes et six catégories de vieilles aux mœurs douteuses ». Il s’agit des nonnes bouddhistes, des nonnes taoïstes et des nonnes magiciennes ; les vieilles qui servent d’intermédiaire dans la vente de personnes, les vieilles entremetteuses, les vieilles religieuses, les vieilles sans scrupule, les vieilles charlatanes, les vieilles sages-femmes ».

Selon Leung AK, Autour de la naissance : la mère et l’enfant en Chine aux XVIe et XVIIe siècles, cahiers internationaux de sociologie, 1984 : 76 : 51-69 :

« Mais les médecins hommes n’assistent pas aux accouchements et ils ont beau se méfier de ces femmes sans culture, ils sont bien obligés de les considérer comme un « mal nécessaire ». Ils doivent donc se contenter de prévenir les familles respectables de les tenir à distance et de les empêcher d’officier si l’accouchement est sans problème et si le « nouveau-né tombe tout seul comme un melon mûr ». ».

Cette notion de non agir et de laisser faire dans l’eutocie se retrouve chez Maxwell P, Liu JL. A "Chinese household manual of obstetrics. Annals of médical history. 1923 ; 5(2) :95-99.

« One may ask, « During defecation we use strengh to force the feces out, why do we not use this strength in labor ? » The answer is as follows : « No ! The feces is a dead thing and so it needs force to be put forth, but the child is active, so we ought to wait till it rotates itself. » The writer looks upon the child as being born just as a ripe melon falls from its stalk and needs little if any force for delivery. »

En occident, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, il a été jugé « déshonnête pour une femme de se confier à un accoucheur » ; beaucoup d’écrits existent en latin, mais le sens pratique et l’observation clinique sont négligés. Ce n’est qu’entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle avec Louise Bourgeois, sage-femme de la reine Marie de Médicis, que l’obstétrique évolue. Elle publie « Les Observations diverses » en 1609, premier ouvrage médical français à être écrit par une femme. Toute entière entre les mains des sages-femmes (elles font appel au chirurgien en cas de problème), l’obstétrique passe progressivement dans celle des médecins à la fin du XVIIe siècle avec Mauriceau et devient une science.

Avant Mauriceau, le premier livre d’obstétrique imprimé à Strasbourg en 1513 est « Le jardin des roses des femmes » de Roesslin. Ecrit dans un langage populaire, c’est une étude complète des connaissances obstétricales qui s’adresse aux sages-femmes qu’il ne ménage pourtant pas.

« Ce sont toutes sages-femmes

Dont les têtes sont vides

Et qui par horrible négligence

Sont causes que partout à la ronde

Enfants meurent qui voudraient venir au monde. »

En 1551, Ambroise Paré publie « De la génération de l’homme et manière d’extraire les enfants hors du ventre de la mère ». La version podalique y est décrite. Louise Bourgeois a étudié dans cet ouvrage. Jacques Guillemeau, élève de Paré, édite en 1606, « De la grossesse et accouchements des femmes ». Il décrit la future technique d’extraction tête dernière de Mauriceau. Tout en travaillant avec les sages-femmes, il désire que les chirurgiens fassent les accouchements, même ceux qui se présentent normalement.

Il faut distinguer le statut de la sage-femme à Paris et en province.

A Paris, l’Hôtel Dieu possède une salle pour les accouchées au XVIIIe siècle. L’apprentissage des sages-femmes se fait auprès d’une sage-femme installée pendant au moins deux ans. L’examen a lieu devant un jury composé par le médecin, les deux chirurgiens et les sages-femmes jurées du Châtelet. En province, l’autorité religieuse exerce une surveillance rigoureuse des matrones mais sans aucun rapport avec leur capacité professionnelle. Celles-ci, sans formation, étaient seulement examinées et interrogées par le collège de chirurgie. Dans la campagne lorraine, la sage-femme est élue parmi les femmes du village, en général celle qui a eu le plus grand nombre d’enfants nés sans problème. En 1587, Gervais de la Touche écrit « la très haute et très souveraine science de l’art et industrie naturelle d’enfanter contre la maudite et perverse impéritie des femmes que l’on nomme sages-femmes ou belles-mères, lesquelles par leur ignorance font journellement périr une infinité de femmes et d’enfants à l’enfantement ».

Il fustige les sages-femmes toujours pressées d’en finir qui « violentent la nature en avançant l’enfantement ». Il conseille aux mères d’accoucher « seules, comme Eve, car Dieu les a munies de toutes les vertus qui leur sont nécessaires pour l’exécution de leur charge, et qu’elles n’ont besoin ni de l’aide, ni du conseil de personne ». A la rigueur, il accepte des voisines pour assister la mère et  recevoir l’enfant quand « la nature l’aura poussé hors du ventre ».

Si, à la campagne, la plupart des enfants naissent à la maison, accoucher avec un médecin devient à la mode en ville.  Des instruments apparaissent pour faciliter les accouchements difficiles et les médecins s’en approprient l’exclusivité. La pudeur féminine évolue, et l’influence de l’Eglise diminue, l’accoucheur est appelé plus souvent. Il en résulte une formation accrue du corps médical et la création d’écoles de sages-femmes.

 

Au fil du temps, l’évolution de l’obstétrique progressivement passée entre les mains des médecins s’inscrit davantage dans l’anticipation de la pathologie sous couvert de responsabilité médico-légale. La physiologie bien connue des sages-femmes a ainsi pu parfois être quelque peu délaissée.

 

Actuellement, l’objectif en obstétrique serait de retrouver le juste milieu entre « laisser tomber le melon mûr » et une  médicalisation parfois excessive. Sages-femmes et obstétriciens se doivent de collaborer efficacement pour garantir des conditions optimales de sécurité. La médicalisation est à accepter en tant qu’aide nécessaire lorsque l’on est au bout de ce que l’on peut réaliser (comme la rupture artificielle de la poche des eaux, l’injection d’ocytocine, l’analgésie péridurale, l’épisiotomie, l’extraction instrumentale, la césarienne). Si elle est acceptée sereinement en tant qu’outil bénéfique par la mère, la médecine peut permettre à la mère et à l’enfant de surfer sur la vague de la pathologie sans forcément être affectés.

 

 

Dynamique de l’accouchement

 

Le mouvement inné dans l’accouchement

 

La dynamique de l’accouchement fait intervenir un mobile, l’enfant et un moteur, la contraction utérine qui permet l’ouverture du col de l’utérus et la progression du mobile fœtal dans la filière pelvienne.

 

Le moteur utérin

La contraction de la fibre musculaire lisse utérine résulte du glissement des filaments d’actine et de myosine les uns par rapport aux autres. La formation de ces liaisons actine-myosine nécessite de l’énergie fournie par l’hydrolyse de l’adénosine-triphosphate (A.T.P.). Activée par les oestrogènes, l’actomyosine est très abondante dans le myomètre gravide et le rend plus excitable en favorisant la propagation des potentiels d’action (à la fin de la grossesse, la composition chimique du myomètre se rapproche de celle du muscle strié).

La progestérone augmente les liaisons calcium-ATP ; la baisse libre intra-cellulaire entraine le relâchement musculaire et donc inhibe la propagation de l’activité électrique du myomètre.

L’ocytocine déclenche les contractions utérines, renforce l’activité contractile et augmente le courant de calcium.

Les contrôles nerveux s’effectuent par libération à distance des neuro-transmetteurs, les catécholamines qui diffusent vers les fibres.

La contraction utérine, involontaire, se manifeste par un changement de forme de l’utérus comme une boule qui pointe en avant et la consistance plutôt souple devient « dure ». Lors de l’accouchement, les contractions sont spontanées, douloureuses (bien que la véritable douleur ne débute qu’après une certaine durée de contraction et se termine avant la fin de celle-ci), et surtout progressives dans l’intensité, dans la fréquence (long de 15-20 minutes en début de travail, puis de plus en plus court (2 minutes en deuxième phase active de dilatation) et dans la durée (15 à 20 secondes au début, puis 30 à 45 secondes en fin de dilatation)).

Leur but est de faire descendre le bébé, effacer puis dilater le col.

 

L’ouverture de l’utérus

Les contractions utérines vont entrainer la formation du segment inférieur, à partir de la jonction col-corps qui vient coiffer la présentation ; le raccourcissement progressif du col qui s’efface complètement (il ne subsiste plus qu’un orifice) ; la dilatation progressive de l’orifice cervical, d’un cm par heure jusqu’à 5 cm, puis d’un cm par demi-heure jusqu’à dilatation complète, soit 10 cm. Il n’existe alors plus qu’un canal utéro-vaginal. Pendant la dilatation peut se créer la poche des eaux constituée par la portion des membranes découverte par la dilatation du col, qui peut être fissurée ou rompue avant le travail, ou pendant de façon spontanée, ou artificielle pour favoriser la descente fœtale.

 

La progression du mobile fœtal

La traversée de la filière pelvienne comprend trois temps :

-       l’engagement, franchissement du détroit supérieur qui se fait par flexion de la tête fœtale dans un diamètre oblique du bassin ;

-       la descente, accompagnée de rotation au contact des épines sciatiques dans le détroit moyen où la présentation se dégage dans un diamètre antéro-postérieur, puis parcourt le sacrum selon un axe horizontal ;

-       le dégagement, franchissement du détroit inférieur où la présentation se défléchit en calant la nuque (occiput en avant) sous la symphyse pubienne avec nutation coccygienne. La tête entrant en contact avec le périnée déclenche l’envie de pousser qui devient plus impérieuse au moment du franchissement des deux ischions.

 

L’expulsion

Au moment de l’effort expulsif, la contraction utérine se renforce des contractions volontaires des muscles striés de la sangle abdominale : la poussée en inspiration bloquée permet l’ampliation du thorax par inspiration profonde, abaissement du diaphragme tandis que l’utérus est comprimé de haut en bas et d’avant en arrière. A noter l’oxygénation moindre du bébé si la respiration est « bloquée », et une poussée trop forte qui risque de davantage léser le périnée. Dans la poussée sur l’expiration (expiration freinée), le diaphragme est remonté et l’expulsion se fait principalement par le muscle utérin aidée par les faisceaux antérieurs bas du grand droit et du petit oblique ; la compression est plus progressive sur le périnée et permet de diriger le bébé de façon plus fine, car plus près de lui.

Lors de l’ampliation périnéale (plus rapide dans la poussée en inspiration bloquée), le périnée postérieur se tend, l’orifice anal devient béant et les releveurs de l’anus sont franchis comme des petites marches d’escalier, puis la présentation remonte et le périnée se relâche. Puis le périnée antérieur se détend à son tour et la longueur ano-vulvaire passe progressivement de 3-4 cm à 12-15 cm. La peau s’amincit et l’orifice vulvaire vertical devient horizontal, puis se dilate jusqu’à ce que la grande circonférence de la présentation l’ait franchi. Le retrait du périnée en arrière dégage alors complètement la présentation. Si la parturiente est allongée sur le dos, la tête dégagée amorce une rotation qui amène l’épaule antérieure sous la symphyse, et le dégagement du corps de l’enfant est progressif. La période d’expulsion peut durer de quelques minutes à une heure en moyenne.

 

La délivrance

C’est la phase d’expulsion du placenta et des membranes. Après un temps de repos de 10 à 15 minutes, le placenta se décolle sous l’action des contractions utérines et de la rétraction utérine, phénomène passif et permanent qui enchatonne le placenta. Puis, sous l’influence des contractions et de son propre poids, il tombe dans le segment inférieur qui se déplisse et la migration se poursuit vers le vagin et l’orifice vulvaire. L’hémostase est assurée par la poursuite de la rétraction utérine et la coagulation sanguine obturant l’ouverture utérine des sinus veineux. Après l’accouchement, l’utérus forme un globe dur rétracté et des saignements persistent.

 

L’accouchement dystocique

Les dystocies dynamiques, ou anomalies de la dilatation dues à un défaut d’activité du muscle utérin.

On distingue les hypocinésies (corrigées le plus souvent par une rupture de la poche des eaux et l’administration d’ocytociques) et les hypercinésies de fréquence et/ou de durée (corrigées le plus souvent par la pose d’une analgésie péridurale).

D’après certains auteurs, l’ocytocine serait liée au lien d’attachement ; l’ocytocine artificielle pourrait occuper les sites de l’ocytocine naturelle et peut-être détourner la mère de sa fonction de base. L’analgésie péridurale est une technique loco-régionale dont le but est d’interrompre la conduction du message douloureux au niveau des troncs nerveux servant à son acheminement dans la moelle épinière vers les structures corticales. Actuellement, le dosage de l’analgésique permet à la mère d’agir sur la douleur tout en gardant des sensations. En effet, le risque serait que la mère se détache de l’accouchement et laisse l’enfant subir la violence du travail seul, d’autant plus que lui n’est pas sous péridurale. Rester active en respirant dans l’harmonie du mouvement de la descente fœtale peut limiter ce risque.

 

Les dystocies de présentation

Dans les présentations céphaliques, la présentation de la face est complètement défléchie, et celles du front ou du bregma le sont partiellement. La présentation en occipito-sacrée n’est pas forcément dystocique, mais le fléchissement de la tête se fait en arrière contrairement à la présentation en occipito-pubien qui est la plus physiologique. Les  variétés en occipito-iliaque gauche antérieure ou postérieur, ainsi que celles en occipito-iliaque droite antérieure ou postérieure sont en occipito-pubien une fois la rotation terminée (à moins d’accoucher sur le côté avant rotation)…

La présentation de l’épaule, oblique, impose une césarienne.

La présentation du siège résulte d’un trouble de l’accommodation. Si le mobile évolue « comme un tout », l’accouchement reste eutocique, mais toute dystocie doit conduire à la césarienne.

 

 

L’extraction instrumentale 

Elle est préconisée en cas d’efforts expulsifs insuffisants ou de souffrance fœtale, et doit si possible être vécue comme une aide. Le forceps est un instrument de traction, d’orientation (par rotation) et de flexion de la tête fœtale qui permet l’extraction sans traumatisme en imprimant les mouvements de la physiologie. Les spatules sont des instruments d’orientation et de propulsion ; elles créent des surfaces de glissement en écartant les parties molles devant la présentation, et la tête reste libre de ses mouvements de flexion et de rotation. La ventouse est un instrument de flexion et accessoirement de traction. Elle permet un complément de flexion qui rend possible la poursuite de la rotation dans l’excavation.

 

La mécanique obstétricale à elle seule justifie l’adaptation de la respiration et des positions pour accompagner l’enfant et que la naissance soit la plus douce possible et pour lui, et pour la mère en devenir.

 

La dynamique de l’accouchement en médecine traditionnelle chinoise

 

En MTC, l’accouchement est la mutation du Yin fœtal quand il atteint son maximum en Yang : le fœtus à terme est mature, le Yin attire l’énergie Yang de la paroi utérine pour la fixer. Il ne reste que du Yin qui s’échappe vers le bas et le Yang se libère vers le haut, ce qui induit les contractions utérines. Le corps utérin est composé à 80 % de muscles régis par le Foie et de 20 % de tissu conjonctif régi par la Rate. Le col utérin à l’inverse se compose de 80 % de tissu conjonctif et de 20 % de muscles, ce qui lui permet de rester fermé durant toute la grossesse. A l’accouchement, l’action du col et du corps s’inverse pour permettre la contraction du corps utérin et l’ouverture du col. Le Foie agit sur l’Utérus et stocke le Sang, la Rate agit sur le col et produit le Sang et le Qi, le Rein nourrit l’Utérus et le Shen contrôle l’ensemble pour favoriser l’équilibre intérieur.

L’accouchement est un mécanisme Yang. En chassant le Yin, le mouvement de Yang vers le bas expulse le fœtus ; le Qi pousse le sang et la porte de l’Utérus s’ouvre.

L’acupuncture, par son action sur la mécanique de l’accouchement (action sur la dilatation, la descente fœtale, l’harmonisation des contractions, les algies lombo-sacrées, l’ampliation périnéale) ou encore sur l’anxiété ou l’asthénie, offre une alternative intéressante, aussi bien pour prévenir la pathologie que pour faire accepter un acte médical nécessaire. Cependant, la pratique de l’acupuncture durant le travail et l’accouchement ne peut être dissociée du mouvement et de la respiration qui font partie intégrante de la médecine traditionnelle chinoise.

 

Accompagner la naissance dans le mouvement, respirations et positions

 
Le mouvement et la respiration

 

Le mouvement est une synergie musculaire qui repose sur une modification du rapport agoniste-antagoniste : c’est une réponse à une modification d’équilibre ; la raideur est une contraction identique des agonistes et antagonistes. La mise en jeu des spirales ostéo-arthro-tendino-musculaires facilite la physiologie et implique une mise en tension globale, générale, de toutes les chaînes musculaires, les os en étant la structure. La chaîne anti-gravitaire fait osciller le corps en permanence de façon réflexe pour maintenir une posture ; les chevilles et les muscles abdominaux sont les anti-gravitaires du tronc. Le mouvement est donc permanent et inné.

Les mouvements de rotation autour de l’axe de la colonne sont à la base même des arts martiaux, et tout mouvement doit commencer par la gauche. C’est justement dans le sens des aiguilles d’une montre, en commençant par la gauche que se fait la dynamique utérine lors de l’accouchement physiologique. D’après Frédérick Leboyer, les maîtres auraient compris leur art en profondeur en revivant leur naissance. L’accouchement est ainsi un art martial, avec le bon geste, dans la bonne direction au bon moment. Plus que la posture, c’est la dynamique de la posture qui est importante.

Cette dynamique est indissociable de la respiration, qui lors des arts martiaux se fait en dedans (en provoquant les mêmes mouvements que si l’on respirait, sans forcément respirer, ou en « faisant circuler l’air dans la colonne »).

La sophrologie intègre également le mouvement et la respiration lors de l’accouchement, et c’est justement cette respiration « sans la respiration » qui est recherchée (la sophrologie est en grande partie dérivée du yoga et du zen chinois). La respiration extérieure trop manifestée est moins efficace. D’autre part, on considère que l’on ne peut mettre en mouvement dans son corps que ce que l’on connaît (ce qui nécessite une préparation), ou bien il faut accepter de « ne rien connaître », mais savoir être dans l’écoute de son corps et « lâcher prise ».  Or, dans une société où tout est intellectualisé, la pudeur peut empêcher un certain laisser-aller, de même que la peur ou l’excès de pensée empêchent le laisser-faire. Pendant le travail, l’acceptation progressive physique et mentale de la contraction permet de ne plus la subir, mais de l’utiliser en tant qu’outil de travail tout en intégrant une éventuelle médicalisation nécessaire en tant qu’aide, et non processus subi.

 

« Au commencement était le souffle »…

Le souffle en médecine chinoise est le premier passage obligatoire et évident pour toute forme manifestée dont le premier cri du nouveau-né.

La respiration de la femme enceinte influe sur l’organisation organique et psychique de l’enfant. Elle permet de neutraliser les chocs nerveux, de contrôler l’activité mentale, d’améliorer la circulation cérébrale et favorise l’intuition et le contact avec le bébé. L’énergie de la respiration favorise la croissance de l’enfant ; la mère ne doit pas se laisser aller à la fatigue, mais aux émotions positives et à la détente pour ne pas fragiliser sa constitution. Les taoïstes décrivent la respiration embryonnaire, dont l’assise est dans la région sous-ombilicale où se situe le centre de gravité de l’homme. La respiration embryonnaire est la partie visible de la relation qui existe entre le Ciel et l’homme. Les souffles tournent et se déploient pour animer l’être dans son entier : l’inspiration y commence, l’expiration y aboutit. Il reste alors le vide capable de créer le souffle à volonté : de lui naît spontanément l’inspiration.

 

Quatre respirations dérivées des arts martiaux sont proposées et adaptées au ressenti en sophrologie.

La respiration complète

Elle consiste à souffler jusqu’au volume expiratoire de réserve pour inspirer (gonfler le ventre, la poitrine, les clavicules), garder la rétention poumons pleins le plus longtemps possible, puis expiration lente intérieure en abaissant clavicules, poitrine et en « rapprochant le nombril de la colonne ». Suit une rétention poumons vides en se focalisant sur la bascule du bassin, et laisser l’inspiration reprendre. Trois respirations accompagnent la contraction : la première voit venir le processus et n’est pas trop douloureuse ; la seconde correspond au dogme de la contraction et n’ira pas plus loin en intensité (donc en douleur), tandis que la troisième voit partir le processus et permet de rentrer dans le lâcher-prise. En phase active de travail, la contraction d’une durée d’environ 40 secondes s’accompagne d’une phase de repos total de deux minutes. L’objectif de ce lâcher-prise est de ne faire travailler que l’utérus pendant la contraction : il faut plonger dans la vague tout entière en ne faisant qu’un avec elle. Ne pas oublier d’associer la posture, la visualisation du col qui s’ouvre et du bébé qui descend.

 

L’expiration active

Elle nécessite une posture adaptée assise en appui sur les ischions avec rotation externe des fémurs, le dos est droit, vertical avec un léger creux lombaire et le menton légèrement rentré. Les mains sont sur le bas-ventre. Souffler le plus longtemps possible en dedans, les mains appuient sur le ventre pour accompagner la bascule du bassin (faire un toboggan au bébé), l’inspiration qui suit est courte, passive et les mains se laissent remonter toutes seules. Faire autant de respirations que nécessaire pendant la contraction, et revenir dans le lâcher-prise. Cette respiration peut s’adapter en décubitus latéral, à condition d’ouvrir le bassin en calant la jambe supérieure sur un coussin ou un étrier, l’idéal étant la position assise sur le ballon qui impose d’emblée la bonne posture pour ne pas perdre l’équilibre. Elle présente l’avantage d’empêcher la douleur d’envahir au-delà du diaphragme et permet de mieux gérer les variétés postérieures (accouchement par les reins). De plus, elle favorise la contractilité utérine et la descente de l’enfant, notamment en cas d’analgésie péridurale.

 

La respiration soufflante

Avec une bascule de bassin peu établie (pas de rotation des fémurs dans le but de laisser faire seul le bébé), elle permet de continuer d’oxygéner l’enfant et de souffler la douleur, lorsque le besoin de pousser se fait ressentir et qu’il est encore trop tôt (absence de dilatation complète, ou après le dégagement de la tête lorsqu’il y a lieu pour l’extraction des épaules). Souffler, puis inspirer de la même façon que dans la respiration complète, mais souffler par petites salves du bout des lèvres en reprenant chaque fois très peu d’air que l’on souffle étage après étage ; la quatrième ou cinquième expiration est longue pour vider complètement les poumons avant de reprendre une expiration. Il est conseillé d’en faire trois par contraction, tout en continuant tant que l’envie de pousser se fait sentir.

 

L’expiration freinée

Il s’agit de la poussée sur expiration, en-dehors de toute urgence. Lors de l’expulsion en adaptant la posture (rotation interne des fémurs et étirement), elle consiste à réaliser trois respirations en émettant le son « SSSS » sur l’expiration qui doit être la plus longue possible.

 

L’adaptation des positions

 

Selon l’OMS, « les femmes devraient être libres de choisir la position qu’elles préfèrent pour l’accouchement, et être encouragées à le faire » en dehors de toute contre-indication médicale ou obstétricale.

La parturiente doit être libre dans son choix de posture et de mobilité qui dépend de sa typologie, de ses blocages musculo–squelettiques, de la progression de la présentation dans la filière génitale, phénomène asymétrique.

 

Mouvements nécessaires pendant l’engagement pour ouvrir le détroit supérieur

Une éversion des iliaques s’accompagnant d’une rotation antérieure a lieu, ainsi qu’une contre-nutation du sacrum (promontoire sacré postérieur) et un bâillement supérieur au niveau du pubis. Ces mouvements sont facilités par la rotation externe des hanches ; l’idéal est d’obtenir une délordose lombaire avec un auto-agrandissement pour réaxer le mobile fœtal dans le plan du détroit supérieur (enfant perpendiculaire au détroit supérieur). Des rétroversions sur l’expiration peuvent être effectuées tout en veillant à respecter un angle fémur/rachis inférieur à 90° au moins d’un côté. L’essentiel est de se décambrer, d’être dans la gravité et de bouger. Le décubitus dorsal empêche la liberté de mobilité du sacrum.

 

Postures adaptées :

-         Marche déambulatoire, debout avec légère flexion du tronc étiré, rotation externe des fémurs : aide de la gravité, mobilité optimale du bassin maternel, favorise l’asynclitisme dans l’engagement.

-         Assise sur un ballon, ou sur le bord de la table d’accouchement un pied sur la marche du haut du marche-pied, l’autre sur la marche du bas, en appui sur les deux ischions et les talons, tronc étiré, rotation externe des fémurs : posture idéale de l’expiration active, aide de la gravité avec bascule du bassin sur l’expiration, mobilité optimale du bassin maternel avec rotation possible sur l’expiration dans les variétés postérieures, décomprime les paquets vasculo-nerveux (évite les sciatalgies, optimise l’oxygénation fœtale), asynclitisme facilité, permet le massage antalgique des points LIAO.

-         A quatre pattes, éventuellement à l’appui sur un ballon, rotation externe des fémurs, dos rond étiré, poids du corps en arrière sur l’expiration : permet aussi l’expiration active (le ballon et non les mains appuient sur le ventre à l’expiration), bonne mobilité lombo-sacrée, des hanches, idéal dans les variétés postérieures.

-         Décubitus latéral, une cuisse fléchie à 90° sur un coussin de type Corpomed ou sur l’étrier (garder la rotation externe des fémurs) : expiration active possible, bonne mobilité lombo-sacrée avec sacrum en contre-nutation, décomprime les paquets vasculo-nerveux, direction oblique de la présentation réduisant le mécanisme d’asynclitisme, le canal vaginal en un seul segment supprime la rotation/restitution de la tête par rapport au corps, idéal dans les variétés postérieures, bonne position intermédiaire en cas de fatigue, également possible sous analgésie péridurale.

-         Décubitus dorsal : position la moins optimale nécessitant d’être « aménagée » : pour éviter le blocage du sacrum avec hyperlordose et nutation sacrée, il faut étirer la colonne et effectuer une rétroversion du bassin sur l’expiration, avec rotation externe des fémurs pour favoriser le réalignement lombo-sacré ; l’expiration active n’est pas possible, compression des paquets vasculo-nerveux, défavorable à l’oxygénation fœtale, douleur moins bien gérée, engagement de la présentation plus laborieux (absence de gravité, peu d’aide à l’asynclitisme, rotation obligatoire quelque soit la variété postérieure).

 

Mouvements nécessaires pour la fin de descente et rotation au niveau du détroit moyen et le dégagement au niveau du détroit inférieur

Il convient de faciliter la nutation du sacrum ainsi que l’inversion des iliaques avec bâillement inférieur au niveau du pubis accompagné d’une rotation postérieure, puis faciliter la rétropulsion du coccyx. Penser à ouvrir le périnée postérieur au moyen d’une rotation interne des fémurs et d’une adduction de hanche, puis le périnée antérieur avec une abduction de hanche.

Postures adaptées :

-         Décubitus latéral, la jambe supérieure remontée vers la poitrine en appui sur un coussin de type corpomed, la jambe inférieure tendue (il y a rotation interne des fémurs) avec extension lors des efforts de poussée sur l’expiration : liberté de mouvements du sacrum et du coccyx, canal vaginal en un seul segment avec absence de rotation et de restitution de la tête par rapport au corps, résistance du périnée faible avec ouverture périnéale optimale (la pression est compensée par l’étirement), position confortable.

-         Accroupie suspendue en rotation interne des fémurs : s’étirer sur l’expiration freinée en gardant le poids du corps en arrière pour augmenter la verticalité ; la forte flexion des cuisses, donc rétroversion des iliaques compensée par la flexion du tronc, exerce une tension sur le fascia thoraco lombaire ; la pointe du sacrum et le coccyx vont vers l’arrière tandis que les ischions vont en avant ; l’ouverture du détroit inférieur est maximale ainsi que celle du plancher pelvien. La suspension compense l’étirement du périnée qui peut réagir en se contractant.

-         A quatre pattes, dos creux étiré, poids du corps en arrière et rotation interne des fémurs.

-         Décubitus dorsal en se suspendant avec les mains pour étirer le rachis sans relever la tête, ou en repoussant les mains contre les cuisses en hyperflexion avec rotation interne des fémurs, ce qui permet un réalignement des axes et diminue la pression sur le périnée.


Mme Annabelle Pelletier-Lambert

Sage-femme

 « Les Myrtes » - Bâtiment A

15 avenue Roger Salengro , 83130 La Garde.

* annabelle.lambert@wanadoo.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

-          Observations diverses, 1609 Louise Bourgeois dite Boursier, côté-femmes éditions, 1992

-          Accoucher, Femmes, sages-femmes et médecins depuis le milieu du XXe siècle, Yvonne Knibiehler, éditions ENSP, 2007

-          Si l’enfantement m’était conté, Frédérick Leboyer, éditions du Seuil, 1996

-          Bien-être et maternité, Bernadette De Gasquet, Implexe Edition, 1999

-          Corps de mère, Corps d’enfant, Les cahiers du nouveau-né n°4, textes rassemblés par Danielle Rapoport, éditions Stock, 1986

-          Bien naître, Michel Odent, éditions du Seuil, 1976

-          Votre bébé est le plus beau des mammifères, Michel Odent, édition Albin Michel, 1990

-          Sophrologie et évolution, demain l’homme, Raymond Abrezol, éditions au Signal, 1986

-          Tout savoir sur la sophrologie, Raymond Abrezol, éditions Randin Signal SA, 1994

-          Traité de sophrologie, tome 1, origines et développement, Jean-Pierre Hubert, le courrier du livre, 1982

-          Traité de sophrologie, tome 2, méthodes et techniques, Jean-Pierre Hubert, Raymond Abrezol, le courrier du livre, 1990

-          Maternité et sophrologie, Patrick-André Chéné, édition Ellébore, 1995

-          Naître en yoga, Sri Mahesh, Elisabeth Raoul, édition Maloine, 1988

-          Le périnée féminin et l’accouchement, Blandine Callais-Germain, 1996

-          Immortelles de la Chine ancienne, taoïsme et alchimie féminine, édition Pardès, 1990

-          Le secret de la maison des ancêtres, Jean-Marc Eyssalet, éditions de la Maisnie, 1990

-          Emergence et immersion du souffle et du désir, Jean-Marc Eyssalet, Guy Trédaniel éditeur, 2006

-      Pratique de l’accouchement, J. Lansac, G. Body, édition SIMEP SA, 1988